1914 et 2014, notre exposition

Il y eut un avant, celui jusque 1914. Puis quatre années terribles qui virent la lente destruction de Vailly. Arrêtons-nous cette fois sur 1914 et sur les photographies d’aujourd’hui, prises pour la plupart d’entre elles par Alain Lecler, l’un de nos membres, photographe de son métier. Les documents anciens, dont les cartes postales proviennent de différents prêteurs qui ont tenu à garder l’anonymat, dans l’esprit d’une réalisation collective et nous les en remercions chaleureusement, ainsi que les bénévoles qui ont participé à l’installation et au gardiennage de l’exposition durant quatre jours. FontainePbW

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Nous donnons une idée de la tonalité de l’époque, entre autres documents, par cette correspondance de carte postale fort bien tournée, dont nous apportons la transcription en dessous :

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Nice girl,

Vous devez m’en vouloir de ne pas vous avoir écrit plus tôt et de ne pas vous avoir envoyé mes meilleurs souhaits pour votre jour de fête, mieux vaut tard que jamais, ma seule excuse est d’être débordé de travail et d’avoir eu flemme d’écrire : si vous la trouvez bonne soyez indulgente et absolvez moi. Veuillez présenter mes respects à Mme votre mère. D’ailleurs vous êtes une petite paresseuse vous aussi car tous les matins Mlle Suzanne me demande si il n’y a pas de lettre pour elle et sur ma réponse négative je la soupçonne d’être triste que sa petite sœur paraisse l’oublier. Merci de votre gentille carte que j’ai comprise et bien que pas signée j’ai pensé que vous en êtes pourvoyeuse, merci.  Maurice X

Carte postée le 4 …1905.

Correspondance sur carte postale figurant l’église de Vailly et la place de l’Hôtel de Ville avec sa fontaine. Expéditeur et destinatrice inconnus. Style d’écriture plutôt rare, surtout sur carte postale.

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Nous présentons également quelques documents allemands, dont un récit de la bataille de Vailly, victoire allemande, illustrée d’abord par cette superbe carte.

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Cette revue comprend la description de la bataille. Nous sommes redevables de la traduction du document à Mme Christine Cureau, que l’Apev remercie pour son travail bénévole :

La journée de Vailly. Récit d’un combattant, publié dans l’hebdomadaire allemand « Histoire illustrée de la Guerre », octobre 1915.

L’assaut de Vailly  eut lieu il y a quelques semaines déjà. Les nombreux évènements intervenus depuis, et les nombreuses batailles menées entre temps ont fait qu’on s’en souvient à peine… bien qu’il figure parmi les actions les plus courageuses dans l’histoire de notre Régiment. À ce titre, il restera inoubliable.

Pendant des semaines, notre Régiment avait pris position face à l’ennemi retranché de ce côté de l’Aisne. Notre seul objectif était de le bloquer et d’empêcher à tout prix toute percée. Néanmoins, les journées dans les tranchées n’étaient pas du repos : les sapeurs affectés à notre Régiment ainsi que nos propres compagnies chargées de certains travaux s’attelèrent à consolider sans cesse nos positions. Malgré notre tâche qui était seulement celle de résister, nous préparions dès le début et de façon structurée un éventuel assaut. Lentement, mais inexorablement, nous poussions nos tranchées vers l’avant. À la fin, certaines de nos compagnies se trouvèrent à seulement 80 – 100 mètres de l’ennemi. Voilà la différence fondamentale entre notre façon de mener la guerre et celle des Français : tandis que nous poussons en permanence vers l’avant, les Français, une fois retranchés, consolident leurs tranchées vers l’arrière.

Fin octobre, la vie quelque peu monotone dans nos tranchées fut perturbée par des bruits concernant une éventuelle offensive de nos divisions dans les prochains jours. L’artillerie positionnée dans notre dos fut renforcée, surtout l’artillerie lourde. De nouvelles divisions de sapeurs nous joignirent. Tous, nous flairâmes quelque chose d’inhabituel. Finalement, les bruits se confirmèrent : l’assaut fut fixé au 30 octobre. Nous ne fûmes pas angoissés, mais une certaine inquiétude et précipitation s’empara de nous. La veille de l’assaut, nos artilleries lourde et légère procédèrent à quelques réglages en tirant sur les tranchées ennemies. Qu’il est bizarre d’entendre bourdonner sur sa tête des projectiles lourds de calibre 21 cm ! Attentivement, nous les écoutâmes exploser. Il n’y avait presque pas de ratés. En vain l’artillerie française chercha à identifier les positions de nos batteries. On put observer aisément comment elle scruta le terrain sans pour autant causer beaucoup de dégâts, d’autant plus qu’un obus sur cinq n’explosa pas. Le 29 au soir, une surprise nous attendit. Nous entendîmes des explosions d’une telle force et violence que nous sortîmes de nos trous, le regard interrogatif. Ce furent nos sapeurs qui réglèrent leurs tirs avec des obusiers. Attentivement, nous suivîmes chaque tir en nous baissant dans les tranchées lors de chaque explosion, car à plusieurs reprises, pierres et mottes de terre furent projetées jusqu’à nous. « Pour ce genre de saucisses, les Français vont nous remercier très bientôt », murmura un camarade à côté de moi qui, la bouche ouverte, observa le spectacle. À la tombée de la nuit, le feu se tut. Rassemblés autour d’un petit feu de camp bien camouflé, nous passâmes en revue les évènements de la journée et parlâmes de l’assaut à venir. Nous préparâmes nos paquetages pour le lendemain et y apposâmes des étiquettes avec nos noms. Presque chacun de nous écrivit encore une carte postale ou une lettre à sa famille ; notre village fut plus silencieux que les autres soirs. Pendant la nuit, les lignes ennemies furent de nouveau arrosées de tirs violents. Nous dormîmes peu. Aux premières heures du 30, nos compagnies furent alignées dans les tranchées, manteaux enroulés et baïonnettes au canon – prêtes à l’assaut. Le feu de notre artillerie devint de plus en plus intense. À huit heures précises, il se tut et les divisions de fantassins – sapeurs en tête – montèrent des tranchées et coururent vers les lignes ennemies. Sous le feu violent des Français, nos sapeurs courageux et prêts à tout abattirent les barbelés. Par vague et, à certains endroits, de manière continue, nous nous dirigeâmes sous un feu nourri vers les positions ennemies. À peine dix minutes plus tard, la compagnie la plus proche de l’ennemi arriva dans les tranchées françaises. Les canons dépassant les barbacanes furent enfoncés dans le sable. Tous ceux qui ne sortirent pas des abris ennemis levant les mains et sans arme furent assommés ou abattus. Après une petite demi-heure déjà, le premier groupe de prisonniers fut conduit vers nos anciennes positions. Nos autres compagnies parvinrent également très vite aux tranchées françaises après avoir percé dans différents endroits. Tous les abris, caches et trous de terre furent nettoyés, puis nous poursuivirent fougueusement l’ennemi en fuite.

Les Français se replièrent par une vallée boisée. Ici, les mitrailleurs qui nous suivirent sans tarder firent du bon travail. Partout, il y avait des morts et des blessés, des morceaux d’uniforme, des fusils et des paquetages. Les blessés, poussant des plaintes, levèrent leur bras vers nous, mais nous n’eûmes pas le temps de nous attarder. Les troupes en fuite essayèrent de s’arrêter à Vailly ; grâce à notre artillerie lourde, ces plans furent déjoués. Le village fut bombardé et les Français durent l’évacuer. Ils prirent la fuite en traversant le pont sur l’Aisne et à la tombée de la nuit, nous occupâmes Vailly. Nous poursuivîmes les Français jusqu’à la rivière et la nuit même, nous creusâmes des tranchées directement au bord de l’Aisne. Les soldats exténués passèrent la nuit dans les tranchées, couverts de leur seul manteau, le fusil dans les bras. Le lendemain déjà, les premières patrouilles fouillèrent les bois au-delà de l’Aisne. Intimidés, les habitants de Vailly montèrent de leurs caves. Ils ne furent pas au bout de leur peine, car maintenant, ce furent les Français qui tirèrent sur le village, sans pour autant causer beaucoup de dégâts à nos troupes.

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Etat de Vailly en novembre 1914

Il n’est pas facile d’être objectif, faute de documents assez nombreux, sur la description de Vailly après la bataille d’octobre. On sait que dès septembre l’incendie ravage une partie du centre ville. Les bombardements de la bataille anéantissent ensuite de nombreuses maisons partout dans la ville. Enfant j’entendais dire que seules deux maisons étaient en état à la fin du conflit, mais ce n’étaient pas toujours les mêmes qui étaient citées ! Par expérience j’ai pu constater que les murs extérieurs de ce qui fut la droguerie Boureux 15 rue Alexandre Legry et une grande partie des planchers et de la couverture n’avaient pas été détruits. Il en est de même évidemment de la cave. Mon grand-père était incorporé et ma grand-mère avait regagné le domicile de ses parents ou bien séjournait à Paris ou Pierrefonds chez des relations familiales. Il se disait que seul un obus avait traversé la maison du grenier à la cave. C’est dire s’il est difficile d’avoir une vue exacte de la situation. Cependant l’aspect extérieur de l’immeuble tel qu’on peut le voir sur des photos de 1919 et ultérieurement apparaît comme une ruine. Ce point est important et nous aurons l’occasion d’y revenir quand viendra l’évocation des destructions et de la reconstruction. Les documents relatifs aux ‘dommages de guerre’, qui étaient les plus importants en nombre conservés par le service départemental des Archives de l’Aisne, ont hélas été l’objet d’une sélection sévère qui a conservé un échantillonnage et non l’ensemble des versements propres à ce thème, ce qui est bien regrettable.

Le texte du verso de la carte postale de l’intérieur de l’église présentée plus haut est très révélateur de l’état de la ville. Elle est écrite le 24 octobre alors que Vailly se trouve être sous les bombardements allemands. Le texte du recto est lisible sur la carte présentée plus haut et figure à la fin de la transcription ci-dessous. Le nom de l’auteur n’est pas connu et évidemment je n’ai pas la carte suivante qu’il annonce à la fin de sa correspondance :

Vailly le 24 octobre 1914, Cousin et Cousine,

« … …Vous êtes donc favorisés en regard des villages voisins car dans la guerre c’est l’incendie qui cause la plus grande ruine des pays de culture, la partie mobilière n’étant qu’accessoire et pouvant à la longue se remplacer. C’était dans cette église que je transportais le soir les blessés de la journéesous les rafales d’obus mais il est maintenant impossible, celle-ci se trouvant (verso =) bombardée, les vitraux en éclats et les murs en piteux état. L’horloge marche cependant encore et tinte lugubrement de ses coups dans la nuit, car je ne suis guère qu’à 600 m. sur la colline que vous allez voir dans la carte suivante. »

 

Le texte de la carte postale ci-dessous invite de même l’historien à la critique. Elle est en effet expédiée depuis Clichy en juin 1915, soit huit mois après les faits. L’expéditeur écrit : « L’aspect de Vailly lors de notre départ au 31 octobre 1914 ! »

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La critique porte donc sur la date de rédaction qui évoque un souvenir. Il est fort probable que la situation n’a guère évoluée depuis octobre et que les ruines présentes sont celles des combats de 1914. La carte est allemande comme on le constate par la présence des soldats allemands près de la fontaine. On devine que certaines parties de maisons ou bien des bâtiments entiers paraissent peu touchés.

Il s’agit donc d’une destruction massive de la ville mais non d’une destruction totale. Ceci n’enlève rien aux souffrances de nos ancêtres mais montre que la nuance est de mise dès lors qu’on souhaite approcher au plus près, donc au plus vrai, d’une réalité qui est autant celle du souvenir que celle de la description contemporaine. Le témoignage n’atteint presque jamais la vérité, il peut s’en approcher.

Deux vues d’ensemble de notre exposition dans l’église Notre-Dame de Vailly-sur-Aisne :

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