Notre association APEV a souhaité présenter à nouveau l’exposition mise en place lors des journées européennes du patrimoine, même thème, même lieu. Elle s’est de même associée à l’association des Anciens combattants de Vailly en particulier dans le cadre de la publication d’un ouvrage collectif relatant l’année 1914 et ses combats à Vailly et dans une petite dizaine de communes autour de ce bourg. Ce document sera disponible dans quelques jours, édité par la Communauté de Communes du Val de l’Aisne et soutenu entre autres par le Comité national du centenaire.
Notre volonté : évoquer ce passé alors douloureux et dramatique, renvoyer cependant vers Vailly aujourd’hui, par comparaison et non par regrets. Mettre en avant également des Vaillysiens de 1914 qui par leur action exemplaire se sont distingués par leur disponibilité à l’égard de leurs compatriotes. Ainsi par exemple le commandant Michel, fondateur de ce qui allait devenir sous son impulsion la « Fédération des Sapeurs-Pompiers de France« , et les infirmières blessées lors de leurs interventions pendant les premières semaines de la guerre. Souvenons-nous en effet de ces personnes dévouées qui n’ont pas pris la fuite devant le danger et qui n’ont pas éprouvé le besoin d’agir pour se mettre en valeur, mais pour se rendre utiles aux autres.
Auguste et Charles Michel, deux vaillants Vaillysiens soldats du feu.
Auguste Michel est né à Vailly le 12 février 1817, fils de Chrysostome Michel et d’Anne Lebeau. Une plaque de plomb trouvée dans une pile de l’Hôtel de Ville en 1920 et posée en mars 1840 le mentionne en tant qu’entrepreneur. Conseiller municipal et commandant du corps des sapeurs-pompiers de Vailly. Il offre en 1857 la statue de saint Sébastien qui ornait autrefois le jardin d’Arc. Le 28 novembre 1865, un incendie éclate à la sucrerie de Vauxrains. De retour de la lutte contre l’incendie le chariot hippomobile verse dans la pente, les pompiers sautent, mais Auguste se casse la colonne vertébrale et décède, victime de cet accident. Une stèle a été érigée, puis en partie détruite au cours de la Première Guerre mondiale. Retrouvée récemment par MM. Migrenne et Siret elle devrait être restaurée par la commune d’Aizy-Jouy.
Charles Michel, fils d’Auguste et d’Alexandrine Cailleux est né à Vailly le 9 mai 1843. Études à Soissons, sous-lieutenant de la Cie de sapeurs-pompiers de Vailly, service militaire au 12e bataillon de chasseurs à pied, sous-lieutenant durant la guerre de 1870.
À la tête de la 2e Cie de Vailly, il organise dans les communes voisines des compagnies analogues ainsi que des concours de pompes remarqués tel celui de Vailly en 1877. Auparavant en juillet 1870 la Cie de Vailly avait été mise à l’honneur et fort acclamée lors d’un concours de pompiers à Neuilly-sur-Seine. On lit dans le magazine « Le Petit Journal » en date du 12 juillet 1870 le récit de cette manifestation où : « … l’exemple de la commune de Vailly devrait être suivi par toutes les communes de France. » Les 18 et 19 septembre 1881, il met en place à Soissons ce qui va devenir la Fédération Nationale des Officiers de Sapeurs-pompiers de France, et en 1882 lors du Congrès de Reims cette Fédération est effectivement créée sous son impulsion. Grâce à ses initiatives et son courage (sauvetage périlleux à Paris et Reims par exemple) il reçoit de nombreuses distinctions et, à titre posthume, l’ordre de Chevalier de la Légion d’Honneur en 1922. Participe à Londres en 1907 à une fédération européenne des Compagnies construite sur le modèle qu’il a élaboré en France. Il passe sa dernière revue à Craonne en mars 1914, aux côtés du général Vesse puis est souvent pris en otage par les Allemands lors de leur arrivée en septembre 1914 qui utilisent sa notoriété pour se protéger et le punir de ses actes de résistance. Lors de la violente bataille de Vailly du 30 octobre 1914, il est tué par un obus dans la cave où il avait trouvé un refuge temporaire. On retrouve son corps qui est déposé début 1918 au cimetière militaire provisoire de Vailly, tombe 714. Puis sa famille décide de le transférer dans le tombeau familial le 21 septembre 1924 lors d’une cérémonie officielle.
En 1963 son fils et la famille désirent ériger un monument officiel en l’honneur de leurs deux valeureux ancêtres. Le Conseil de la Fédération Nationale lance alors une souscription nationale pour l’érection d’un monument et la commande est confiée au sculpteur Francis Burette de Champigny-sur-Marne. Une première ébauche est jugée trop abstraite par le comité et une seconde acceptée. Le monument est terminé en 1967. Toutefois après diverses péripéties il ne sera officiellement inauguré qu’en 1982 à l’occasion du Centenaire de la Fédération qui se tient à Reims. Le 19 septembre est organisé une manifestation grandiose à Vailly où neuf détachements d’officiers de Sapeurs-Pompiers de France dynamisés par la musique de la Cie de Belfort animent l’espace autour du monument, en présence des autorités et d’une forte représentation des habitants.
Jean-Pierre Boureux, article rédigé avec l’aide de la revue ‘le sapeur pompier’ n°736, octobre 1982, p. 374-380 (article très complet) et des documents aimablement mis à notre disposition par Madame Burette, que nous remercions chaleureusement, à l’intention de notre association.
le « Monument Charles Michel » à Vailly, érigé par la Fédération des Sapeurs-Pompiers de France, sculpteur Francis Burette. Photographies J.P. Boureux, avril 2013.
On notera que la municipalité de Vailly aidée par les institutions en rapport direct avec l’évènement ont commémoré la « bataille de Vailly » et l’oeuvre du commandant Michel le 30 octobre 2014 en soirée et le 31 octobre en journée, dont les deux photographies qui suivent sont un clin d’oeil, sorte de post-it.
Hommage à Geneviève Crochard et Anna Heinrich
VAILLY-SUR-AISNE
« Deux vaillantes infirmières »
Récit du Lieutenant-colonel LUTHARD
(Document aimablement remis par Mme Claude PARMENTIER, que nous remercions)
Dans les premiers jours du mois d’août 1914, une ambulance auxiliaire de l’A.D.F. était créée à Vailly-sur-Aisne, dépendant du Comité de Soissons. Mlles Geneviève Crochard et Anna Heinrich, institutrices d’école privée, y étaient attachées comme infirmières et bénévoles. L’installation n’était pas achevée qu’elles recevaient de nombreux blessés et éclopés laissés derrière elle par l’armée en retraite sur Paris ou bien par les habitants du pays envahi par l’ennemi.
Le 28 août, on annonça que les ponts sur le canal et sur l’Aisne allaient être détruits, la panique s’emparait de tous. On évacuait à grand-peine les blessés ; le médecin-chef et l’infirmière-major quittaient l’ambulance et les deux infirmières auxiliaires ne se sentant plus utiles allaient partir lorsque l’on vint leur dire qu’un blessé, oublié dans une maison demandait du secours… Sans se préoccuper de savoir si elles trouveraient une autre possibilité de transport, Mlles Crochard et Heinrich renoncent à profiter de l’offre pressante d’un fermier de les prendre dans sa voiture. Elles se rendent auprès du blessé qui avait un genou fracassé, le transportent à l’ambulance avec l’aide de deux femmes courageuses. Elles se disposaient à mettre leur malade au lit lorsque l’on entend le bruit de cavaliers traversant le village. Le blessé, prêtant l’oreille comprend que c’est l’ennemi qui arrive, il refuse tous les soins, réclame son fusil pour se défendre, il ne veut pas être fait prisonnier, s’agite, demande un révolver pour se tuer lui-même. La scène devient tragique : deux cavaliers se sont arrêtés et frappent à la porte. Les infirmières sentent le danger qu’elles courent si elles cachent un soldat, mais, émues par le désespoir de ce brave, elles l’enferment dans un grand placard et vont ouvrir la porte. Un officier se présente, il demande s’il n’y a plus de français dans la maison. Mlle Crochard répond résolument non ! Tous les locaux sont visités et l’ambulance est occupée militairement.
Dans la nuit qui suit l’occupation, un habitant vient dire aux infirmières, avec mille précautions, qu’il a encore un blessé chez lui ; il a lu une proclamation allemande menaçant de mort toute personne cachant un soldat français et demande donc l’entrée de son hôte dangereux à l’ambulance. – « Amenez-le, que nous en cachions un ou deux, on ne pourra nous fusiller qu’une fois », dit Mlle Crochard.
Pendant 15 longs jours, les courageuses jeunes filles restent sous la menace de la découverte de leurs deux protégés ; elles les ont installés dans leur chambre et les soignent, sans défaillance, au milieu du va-et-vient des Allemands qui utilisent l’ambulance pour leurs malades.
Le 13 septembre, les effets de la bataille de la Marne se font sentir, Vailly est évacué subitement. Deux jours après, l’armée anglaise arrive, mais les Allemands se sont installés sur les hauteurs du Chemin des Dames et un violent bombardement commence. Les blessés remplissent bientôt l’ambulance, les habitants eux-mêmes viennent demander des soins. A un moment donné, une femme affolée arrive, elle occupait une maison en dehors du village, elle dit qu’un obus a blessé grièvement son mari, elle demande du secours, elle avoue que, dans son trouble, elle a oublié son enfant et ne peut aller le chercher sur le terrain labouré par les obus… Mlle Heinrich ne la laisse pas achever, elle connaît bien la maison, elle y court…
A la sortie du village elle se trouve sur la ligne des tirailleurs anglais, qui échangent des coups de fusil avec l’ennemi, couchés et abrités derrière leurs havresacs. On veut l’arrêter, on lui fait signe de se coucher, elle n’écoute rien, elle continue à courir au milieu du sifflement des balles, arrive à la maison, l’homme était mort. Sans s’attarder auprès de lui, elle va prendre l’enfant dans son berceau et reprend sa course vers la ligne anglaise, poursuivie par les balles qui ricochent sur le chemin. Émerveillés par tant de courage, les soldats se lèvent pour la saluer. Enfin de retour à l’ambulance, elle remet l’enfant à sa mère au milieu des applaudissements de tous ceux qui viennent d’assister à cet acte de dévouement.
Les jours suivants, le bombardement redouble, les infirmières n’ont plus un instant de repos, jour et nuit elles sont auprès des malades et des mourants. Le Général Gough, commandant le secteur, vient lui-même les féliciter. Il les cite à l’ordre de la division le 12 octobre.
Le 14 octobre à 11 heures du matin, deux obus de gros calibre tombent sur l’ambulance, des blessés sont tués dans leur lit. Mlle Heinrich reçoit en plein visage, un éclat d’obus qui lui crève l’œil droit, on l’évacue sur Braine, l’ambulance étant incendiée.
Au moment où, couchée sur un brancard, toute ensanglantée, mais gardant tout son calme, un prêtre s’approche d’elle, lui fait espérer que l’on pourra sauver son œil, elle dit alors sans forfanterie : — « qu’importe cet œil si j’en garde un pour voir la victoire ! » Le soir même elle subissait l’énucléation de l’œil. Braine étant bombardé à son tour, elle était évacuée vers l’arrière.
La récompense à une si belle conduite s’est fait attendre, mais elle est enfin venue :
Le 8 avril 1921, Mlle Heinrich était nommée Chevalier de la Légion d’Honneur au titre militaire avec attribution de la Croix de Guerre, Melle Crochard recevait la Croix de Guerre et la Médaille de la reconnaissance française.
L’Association des Dames françaises, fière de ses infirmières, leur décernait, à l’une, la médaille d’honneur en or et à l’autre, la médaille spéciale du dévouement.
Tous les faits relatés ci-dessus ont été signalés par les témoins, tels que : le Maire, le Curé et deux habitants de Vailly et consignés dans le procès-verbal d’une commission d’enquête composée du Colonel LUTHARD, administrateur d’A.D.F. et de deux officiers désignés par le Général commandant la subdivision de région de Soissons.
L’ordre du jour du Général Gough ayant été brûlé dans l’incendie de l’ambulance, le Général a bien voulu, sur la demande de la commission, en établir une copie de sa main.
Lieutenant-colonel LUTHARD.
N.B. du rédacteur :
La bibliothèque en ligne « Gallica-bnf.fr » conserve l’ouvrage :
Documents relatifs à la guerre 1914-1915 [-1916] Tome I [— V] : Rapports et procès-verbaux d’enquête de la commission instituée en vue de la commission instituée en vue de constater les actes commis par l’ennemi en violation du droit des gens.
Au n° 309 on peut lire la déposition suivante qui corrobore les propos du rapporteur ci-dessus :
Déposition de l’Abbé Deharbe (Jules), 54 ans, curé doyen de Vailly-sur-Aisne (Aisne), reçue le 22 octobre 1914, serment prêté.
Le 20 septembre, puis le 22, les Allemands, qui occupaient les hauteurs de Celles et Condé, à l’est de mon église, ont envoyé six obus explosibles sur mon église, qui abritait
deux cents blessés anglais, et cela malgré le drapeau de Genève qui flottait au clocher. Le
drapeau lui-même a été déchiré par les balles, et un blessé anglais, qui se trouvait près de la
chapelle du Sacré-Cœur, a été tué par l’explosion d’un de ces obus.
Vers le 2 octobre, vers onze heures du matin, les Allemands ont de nouveau bombardé
l’ambulance et l’annexe du docteur Lancry. Mme Georges, qui était ambulancière, a été pro —
jetée contre le mur par suite de l’explosion d’un obus : elle a été blessée (contusions), et à
l’annexe, la cuisinière, Mme Tellier, a, eu le pied emporté par un autre obus. Enfin, une
demoiselle Anna X, de Charleville, ambulancière, a eu l’œil crevé. Sur l’ambulance flottaient le drapeau de Genève et le drapeau anglais, qui protégeaient également l’annexe située à un mètre cinquante de là.
Lecture faite, persiste et signe avec nous.
Excepté la date mentionnée par l’abbé il semble bien que le nom de Anna X corresponde à celui de Anna Heinrich, qu’il ne devait pas connaître. Les événements ici relatés se révèlent exacts et véridiques. Nous n’avons hélas pas trouvé d’autres informations sur ces courageuses infirmières.
Par le passé j’ai déjà mis en avant le rôle des infirmières durant la Première Guerre mondiale et la reconnaissance citoyenne qui s’ensuivit, notamment sous la forme de deux monuments. Vous trouverez cela sur le blog que je rédige très librement, à cette adresse :
http://voirdit.blog.lemonde.fr/2011/11/09/hommage-aux-infirmieres-de-la-premiere-guerre-mondiale-reims-pierrefonds-et-dans-les-coeurs/
suggestion : pourquoi pas un nom de rue ou une reconnaissance quelconque à Vailly ? Ediles, songez-y donc !